J’ai eu la chance de pouvoir
échanger avec Peggy Rolland que j’ai découvert à travers le film/documentaire
« Un jour ça ira » d’Edouard et Stanislas Zambeaux.
Ce documentaire m’a profondément
touché, le sujet de la précarité et de l’inclusion de toutes ces familles avec
enfants en difficultés est un sujet sociétal intemporel. Certes, il y a eu des
évolutions mais qui sont très loin d’être suffisantes.
Pouvez-vous nous parler de la naissance de ce projet L’ARCHIPEL ?
Bien sûr, mais je vais commencer
par l’historique du lieu. En 2015, l’Association Aurore, qui est une grosse
association gérant une grande partie du logement d’urgence provenant du 115 sur
la région Parisienne, récupère la gestion des locaux de l’INPI* (Institut
National de la Propriété Industrielle) qui a déménagé. Ce sont près de 5000 m2
situés tout près de la place de Clichy.
Le projet de réhabilitation du
site est pris en charge par la Ville de Paris mais le délai pour la mise en
place de ce projet est de plusieurs années.
Aurore a donc voulu faire de cet
endroit un lieu « d’innovation sociale » avec un centre d’hébergement
d’urgence pouvant accueillir jusqu’à 220 personnes et des activités à
destination des habitants du quartier afin de mélanger les publics.
Des concerts, des séminaires, des
brunchs, un espace de coworking ont été mis en place dans le but de toucher un
maximum de personnes environnantes.
J’ai été associée à ce projet par
le plus grand des hasards. Une de mes connaissances en charge de ce projet m’a
fait part du déficit de prise en charge des adolescents accueillis. Ils sont
bien souvent seuls, livrés à eux-mêmes. J’ai eu envie de voir ce qui était
envisageable.
C’est une activité tout à fait
bénévole de ma part. Elle a duré 1 ans
et demi. Il m’a fallu beaucoup de temps pour débloquer la parole de ces jeunes,
environ 8/9 mois. Leurs difficultés scolaires, leur rapport difficile à l’écrit
ont été des freins pour la production de textes mais nous y sommes
parvenus !!
Malgré tout, le grand luxe de ce
projet est que j’ai eu le temps de nouer une relation avec eux et de travailler
en profondeur. Ces adolescents entrent dans une période de prise d’autonomie,
ils n’ont pas d’espace à eux. Ils doivent partager leur intimité dans une
petite pièce avec leurs parents, leurs frères et sœurs. Avec l’atelier, nous
créions un espace qui permettait 1h par semaine d’être dans leur bulle
personnelle.
Quel lien avez-vous établi avec ces adolescents ?
Au cours des ateliers, on apprend
à se connaître, à s’apprivoiser… Ce sont des enfants qui sont toujours présents
et, lorsque j’ai dû m’absenter, à mon retour les questionnements étaient
nombreux. Ils ont vraiment besoin d’être rassurés et accompagnés.
L’annonce de la fermeture du
lieu, qui s’est faite plus rapidement que prévu, a vraiment été difficile pour
toutes ces personnes. Ils formaient une famille. Très souvent leur parcours est chaotique et il
n’y a pas de suivi sur le long terme ce qui est vraiment préjudiciable.
Petite anecdote : Un jour,
la salle dans laquelle je donnais mes ateliers avait été ravagée car laissée en
libre accès. J’étais très en colère, découragée, je me suis dit que tout ce que
l’on mettait en place était détruit en un rien de temps.
Les jeunes ont senti mon
découragement du moment et m’ont demandé si j’allais arrêter l’atelier. J’ai
alors perçu l’attachement qu’ils y portaient. Ce qui m’a donné la force de
reprendre courage.
La réalité sur le terrain :
Il faut savoir que ce sont des
enfants qui cachent leur vie par crainte d’être jugés, exclus…Ils ne reçoivent
jamais leurs camarades de classe. Une fois rentrés au centre, la solitude
s’installe.
Certains enfants ont de plus de grands trajets à effectuer jusqu’à leur école. En effet, certaines mairies ne jouent pas le jeu de les scolariser en exigeant des justificatifs de domicile que ces familles ne sont pas en mesure de produire. Les familles sont donc contraintes à de longs trajets dans Paris, voire au-delà du périphérique.
Certaines personnes peuvent
rester très longtemps dans les dispositifs d’urgence. J’ai rencontré une
famille de six personnes qui sont restés près de deux ans dans le centre, faute
de logements sociaux accessibles.
Il y a une très forte demande de logement
social à Paris, bien plus importante que les moyens existants. Les capacités
des centres d’hébergement d’urgence saturent de ce fait. Ce qui devrait être
une solution très provisoire devient malheureusement pérenne.
Contrairement aux préjugés, il y
a parmi les familles hébergées beaucoup d’entre elles qui sont en situation
régulière, avec des permis de séjour et des emplois.
Seulement, ces personnes
travaillent pour un salaire de misère, ils sont à la fois victimes de leur
précarité et des difficultés locatives propres à la région parisienne.
Contrairement à ce qui a pu être demandé aux Associations par le biais d’une
directive heureusement laissée lettre morte, il n’y a pas de tri à faire dans
la situation administrative des personnes secourues.
D’un point de vue
déontologique, c’est absolument inadmissible. Toutes les personnes dans la rue
doivent être prises en charge du mieux possible, qu’elles soient en situation régulière,
irrégulière, demandeuses d’asile….
Quand on n’est pas confrontés à
toutes ces difficultés, on ne répond que par des chiffres, des idées générales,
ce qui ne fait pas avancer les choses. La réalité de terrain est tellement
différente, elle mérite qu’on voie l’humain qui se cache derrière …
Pouvez-vous nous parler de votre association « Fausse Note »
dont vous êtes l’initiatrice ?
Nous sommes un collectif
d’artistes : Auteurs, compositeurs, chanteurs. Nous intervenons auprès de
personnes isolées au sein des écoles, des hôpitaux, des EHPAD mais aussi en
milieu carcéral.
La chanson a un énorme potentiel
pour livrer son histoire et transmettre ses émotions. Les regards et la
reconnaissance extérieure sont très valorisants.
La restitution d’une chanson est
le moment que je trouve le plus révélateur. Dans mon travail, je m’efforce de rester
au plus près de la parole de départ qui m’a été confiée pour écrire une
chanson.
Pour revenir au documentaire Un Jour ça ira, Milana, jeune fille que
j’essaye de pousser au maximum pour qu’elle se livre enfin à l’exercice
d’écriture est en grande difficulté. Cela dure longtemps mais un jour, au cours
d’une soirée, je l’observe danser avec les longues tresses africaines que lui
ont faites ses amies.
Ça a été un déclic pour moi et
pour elle. Est née de cette soirée une chanson sur l’amitié « Sœurs de
sang » (Album Invisibles de Peggy Rolland). Ce fut un moment magique, on a
mis le doigt là où il fallait. Elle s’est très vite approprié cette chanson et
lorsqu’elle l’interprétait on sentait qu’il s’agissait bien de son histoire
qu’elle racontait à travers le chant.
« Les balades
enchantées » sont un peu notre vitrine. Nous organisons sur la période de
Mars à Octobre de mini concerts sur des parcours urbains d’un kilomètre. Nous
donnons carte blanche aux artistes. L’objectif étant de les faire découvrir à
un public qui ne les connaît pas et de faire redécouvrir des lieux parfois
oubliés ou qu’on oublie simplement de regarder.
Nos prochaines dates sont :
-
Le 15 Mars 2019 à 17 h. Lieu de rencontre :
à la gare de Colombes avec le groupe « Pur-Sang ».
-
Le 24 Mars 2019 à 15h. A Colombes avec le chanteur
« Guilhem Valayé »
Je tiens à souligner que la
profession d’artiste est très difficile. Les intermittents sont très peu
reconnus et sont dans des situations de grande précarité.
Notre objectif avec
Fausse Note est de les accompagner et de leur donner de nouvelles perspectives
professionnelles leur permettant d’utiliser toute leur palette de savoir-faire.
Difficile pour une structure associative très jeune et en pleine construction
de faire le poids face à des poids-lourds de l’associatif. De plus en plus,
nous collaborons avec des structures associatives plus importantes afin
d’augmenter notre visibilité.
Notre objectif est de garantir une rémunération
systématique pour nos intervenants, à la hauteur de la qualité de leur travail.
Les chanteurs ont une fonction et un lien social très important, indispensable.
Pourquoi avoir choisi d’intervenir dans le milieu carcéral qui est,
quelque peu différent des structures éducatives, médicales et sociales où vous
intervenez également ?
J’interviens à la maison d’arrêt
de Villepinte avec trois autres artistes de notre collectif. C’est une volonté
de ma part depuis de longues années.
Ce sont des populations victimes de la
ségrégation de la société. Pour autant, l’accès à la culture est un droit
malgré le discours ambiant concernant les détenus. Cela peut ouvrir de
nouvelles perspectives à des personnes qui vont devoir trouver une nouvelle
place dans la société.
J’ai donc contacté le SPIP,
service de réinsertion et proposé un projet, financé par la maison d’arrêt et la
SACEM.
Nous intervenons au sein d’une unité pilote, le module du respect, où
les détenus ont la possibilité d’aller et venir dans l’enceinte de leur unité à
condition de suivre des ateliers, des formations ou de travailler.
C’est une
situation gagnant-gagnant et le projet que nous avons commencé en décembre
est déjà très riche !
Je suis ravie d’avoir pu m’entretenir avec Peggy qui est une artiste
extraordinaire. Je vous invite à découvrir l’album « Invisibles » qui
est incroyable. Elle agit avec conviction et bienveillance ce qui est
indispensable pour intervenir auprès de public en difficulté. Les actions
menées sont louables et méritent d’être évoquées. Il y a encore beaucoup de
choses à faire pour que nous puissions vivre dans une société inclusive mais
« les petites rivières font les grands fleuves ». Le projet Archipel
en est l’exemple même tout comme l’association fausse Note.
« Un jour ça ira » : https://fr-fr.facebook.com/UnJourCaIra/
Peggy Rolland : https://fr-fr.facebook.com/public/Peggy-Rolland
Fausse Note : https://faussenote.com/
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire