Votre livre « Paul en
Mongolie, L’autisme est un voyage que je n’avais pas prévu » est un
ouvrage fort de sens. D’abord nourrit
par le combat d’une mère qui doit affronter les obstacles médicaux pour parvenir
à un diagnostic mais aussi, par la bataille administrative que vous devez mener pour accéder à la scolarisation de Paul dans les meilleures conditions et obtenir
une Auxiliaire de Vie Scolaire.
L’autre partie est quelque peu
déroutante. Le voyage vers la Mongolie paraît étrange mais prend tout son sens
lorsque l’on en découvre les bienfaits pour chacun d’entre vous. La rencontre
avec les Mongols est pleine de bienveillance et d’une richesse incroyable. On
ressent pleinement toute l’énergie positive qui en ressort et percevons, grâce
à votre récit, à quel point cette excursion a été salvatrice.
Ce sont hélas des
situations de plus en plus fréquentes ou du moins dont on parle davantage. En
tant que maman d’un enfant avec troubles du spectre autistique (TSA), comment
avez-vous vécu cette période « ingrate » et douloureuse où il n’y
avait pas de diagnostic posé ? Quelles étaient les conséquences pour vous et
pour Paul ?
Cette période a en effet été très
douloureuse car je sentais Paul différent, je percevais le regard des gens
(puéricultrices, enseignantes, amis, famille) qui s'interrogeait sur cet enfant
mais n'osaient pas forcément me le dire (par gêne, pour me préserver ?). Et
moi, je ne pouvais pas répondre à cette gêne. Surtout, je sentais mon fils en
difficulté, les interactions étaient limitées et j'étais impuissante pour
l'aider. J'ai parfois perdu patience avec lui parce que je ne comprenais pas
ses comportements, ses crises éventuelles. Je pouvais m'énerver, crier, me
mettre à pleurer et cela n'arrangeait rien. Comme je l'ai raconté, j'étais
parfois agressée par ceux qui jugeaient mon éducation défaillante selon eux et
j'encaissais sans répondre parce que je n'avais pas de quoi répondre. Je me
suis beaucoup remise en question.
Beaucoup de parents
souffrent de devoir parcourir un si long combat avant l’annonce du diagnostic
de leur enfant mais, ils évoquent aussi les difficultés qui émanent des
divergences d’opinion des différents professionnels médicaux. Pensez-vous
vraiment que tous sont égaux face à l’accès aux soins ?
C'est la loterie. Soit on a la chance
de tomber sur les bons professionnels, soit on tombe sur ceux qui vont vous
enfoncer un peu plus. Il n'y a pas d'accompagnement à la recherche
diagnostique. Pour peu que vous soyez en état de faiblesse, vous pourriez avoir
envie d'abandonner, de subir ce que vous impose, de baisser les bras. Ma
famille, des amis m'ont aidée et soutenue. Tout le monde n'a pas cette chance.
Non nous ne sommes pas égaux et ça n'est pas normal. J'ai pu obtenir un
diagnostic en libéral après des années, j'ai déboursé pas mal d'argent pour les
bilans. Qu'en est-il de ceux qui n'ont pas les moyens ?
Vous évoquez avec
pudeur « les charmantes bizarreries » de Paul. Selon vous,
« elles vous ont sautés aux yeux » lors de son entrée à l’école en
Région Parisienne. Avec le recul des années qui passent, pensez-vous que
l’école peut accentuer les troubles déjà présents chez les enfants du fait
d’une mauvaise prise en charge ?
Paul. Comme beaucoup d'enfants
autistes il apprend par mimétisme. C'est pour cela que j'ai aussi refusé
l'ulis. Plus petit, il allait à la piscine en même temps que des adultes
handicapés d'un IME ce Avec une mauvaise prise en charge, oui, évidemment. Le
milieu ordinaire a été une chance pour qui était très bien pour l'inclusion de
ces personnes. Mais il avait tendance à calquer, les cris, les gestes. L'ABA
lui a permis, pour moi sans le changer, d'acquérir un comportement d'élève
(demander la parole, rester à sa place, etc..) qui a favorisé son inclusion.
Aujourd’hui encore,
malgré tout ce qui peut être mis en place pour l’intégration des enfants
porteurs de handicap, ne pensez-vous pas que nous sommes très loin de
« l’école inclusive » dont on parle tant ?
Oh oui, la route sera longue. Le
point noir pour moi est la formation, elle n'est pas à la hauteur, et si on
prend la bonne direction, il faudra du temps avant que le terrain soit
opérationnel. C'est une révolution du regard, des pratiques pédagogiques, de
l'accompagnement qui changera les choses. Nous n'y sommes pas encore.
Vous faites partie
des personnes très active dans cette lutte pour l’inclusion des enfants
porteurs de handicap. C’est un combat sociétal actuel et permanent mais qui
pourtant, laisse beaucoup de familles dans une solitude et une souffrance
extrême. Certes, nous avançons progressivement mais, faute de moyens sociaux,
financiers et matériels, beaucoup sont laissés pour compte. Quel est votre
ressenti ?
Je sais que j'ai de la chance,
j'ai pu mettre en place des solutions pour Paul qui ne sont pas accessibles à
tous les parents, tous les enfants. Quand je pense aux enfants sans solution,
ça me rend malade. Cette immense solitude, cette rage que l'on ressent quand on
ne trouve pas d'aide, je les connais. J'ai conscience qu'il y a derrière chaque
histoire des ruptures de vie, des vies gâchées et c'est insupportable.
On peut lire dans
certains des entretiens que vous avez réalisés que la méthode ABA a été
bénéfique pour Paul. Comment en êtes-vous arrivés à « choisir » cette
méthode ? Paul en bénéficiait-il sur le temps scolaire ? Son AVS y était-elle
formée ?
La chance dans mon parcours
toujours d'avoir une main tendue de parents concernés. Ils ont créé une
association pour leur petit garçon autiste et m'ont proposé des séances
d'essais avec Paul. J'étais inquiète parce que j'entendais tout et n'importe
quoi. Je savais aussi que ce choix avait des conséquences financières et qu'il
fallait mon implication. Je craignais de devenir la thérapeute de mon enfant.
Finalement, m'impliquer de cette façon-là m’a aidé à ne plus subir, à me sentir
utile pour Paul. C’est chronophage. Voir les progrès de Paul c'est très
émouvant et gratifiant mais parfois je suis épuisée. L'AVS de Paul, je l'ai
proposé au recrutement en l'ayant rencontré avant la rentrée, je lui ai aussi
proposé d'être formée à L'ABA en même temps que moi à domicile pour qu'il y ait
une concordance de la prise en charge, à la maison, à l'école. Ça s'est avéré
payant. Et une très belle aventure humaine.
Vous avez dû mener
cette bataille de vie « seule », principalement pour vos enfants. C’est
le cas de nombreuses familles. Hélas, certaines n’ont pas la force de mener de
front comme vous le faites, toutes les difficultés qui se dressent
devant-elles. Je me dis très souvent qu’un accompagnement psychologique et
social devrait être systématique, qu’en pensez-vous ?
C'est une évidence, à condition
toujours d'avoir à faire à des professionnels compétents qui n'ajouteront pas
la culpabilité à la souffrance de ce parcours. La charge administrative est
lourde et complexe, l'isolement social fréquent, le quotidien parfois difficile.
Maintenir une activité professionnelle parfois impossible. Moi ça m'a sauvé,
faire partie d'une asso, partager avec des parents dans ma situation, l'aide
amicale et familiale aussi, je le répète je mesure ma chance. Il faut cet
accompagnement social et psychologique quand on n'a pas tout ça. C'est vital !
En tant que parent,
avoir un enfant porteur de handicap est une épreuve douloureuse. La solitude et
la colère ressortent souvent des récits de familles. Qu’en a-t-il été pour
vous ? Vous êtes-vous sentie soutenu par la
« société » dans vos démarches, votre parcours de mère d’enfant
en situation de handicap ? (En dehors de Mme Macron…)
Avant le diagnostic, c'était très
difficile. Trop souvent jugée, Paul trop souvent exclu, j'ai ressenti très fort
les réticences de la société dans son ensemble pour l'acceptation de la
différence. Le milieu scolaire notamment, très normatif. Depuis que je sais que
Paul est autiste, je peux faire plus de pédagogie et je le vis mieux. J'ai
rencontré aussi des gens formidables qui m'ont redonné confiance et me donnent
envie de me battre
Paul a 13 ans
désormais, comment va-t-il ? Comment se sent-il dans cette société où la
différence n’est pas acceptée systématiquement ? A-t-il conscience du
parcours et des épreuves qu’il a dû surmonter à vos côtés ?
Il a 12 ans 😉. Il entre
dans l'adolescence. Il va bien malgré ses difficultés cognitives. Il adore
vraiment ses copains d'école, il est très heureux de se lever chaque jour pour
les retrouver, c'est son moteur. Il est inquiet aussi pour son entrée en
sixième, il travaille beaucoup et pressent que cela sera difficile. L'avenir
reste incertain. Il est très courageux.
Paul est un jeune
adolescent, on se pose très souvent la question de savoir comment va se passer
la période de l’adolescence pour nos enfants. Qu’en est-il pour vous ?
La puberté commence, j'ai acheté
quelques livres sur le sujet pour l'accompagner. Je commence à me renseigner
sur les formations qui existent. Son psychologue ABA le suit chaque quinzaine.
On navigue à vue. Je sens les premières perturbations liées aux bouleversements
hormonaux, l'énervement, les questions sur les relations affectives. Il dit
avoir une amoureuse parce qu'il joue avec elle dans la cour 😊. C'est
mignon, mais j'appréhende la suite. À chaque jour suffit sa peine..
Bien des parents
s’oublient et se livrent intégralement à leur enfant porteur de handicap. Cela
est le reflet extrême mais réel de la grande difficulté et de la solitude dans
laquelle ils se retrouvent au quotidien. Tous n’ont pas accès aux mêmes droits,
aux mêmes accompagnements. J’ignore ce qui pourrait être mis en place pour
qu’il n’y ait plus de personne qui se retrouve dans cette situation mais, ne
pensez-vous pas là encore qu’il y a de nombreuses inégalités ?
Évidemment, c'est ce que je vous
disais plus haut. Les maisons de répit devraient se généraliser pour que les
parents puissent souffler, maintenir une vie sociale. Ma maman garde
régulièrement mes enfants pour que je puisse dîner avec des amis, aller de temps
en temps au cinéma ou au concert. Heureusement qu'elle est là !
Pour finir, comment allez-vous ? Quel est votre quotidien ?
Avez-vous des projets en cours ou à venir ? L’écriture vous a-t-elle aidé
à vous libérer de toutes les émotions qui ont pu vous submerger ?
Pensez-vous que c’est une manière accessible à tous d’évacuer son
ressenti ?
Ça
va. Comme tous les parents, je suis tiraillée entre le quotidien et la
projection vers l'avenir qui est nécessaire mais anxiogène parce que si peu de
certitudes. L'amour de mes enfants me portent, c'est ma force. J'aimerais
parfois avoir plus de temps pour moi, parvenir réellement à me détendre. C'est
difficile.
L'écriture
de ce livre a été une expérience bouleversante. J'ai senti que tout avait
besoin de sortir, on est tellement réduit au silence parfois sur ce chemin. Il
faut trouver un mode d'expression, quel qu'il soit. L'écriture est le mien, il
y en a d'autres.
Je crois aux bienfaits de la parole, écrite, chantée, hurlée, dessinée,
dansée,... Pour montrer aussi encore et toujours que nos enfants sont
formidables !
Propos recueillis par Manuela SEGUINOT
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