jeudi 30 mai 2019

Eh oui, l’autisme aussi est un business… : Entretien avec Maxime Gillio



J’ai lu avec beaucoup de plaisir « Ma fille voulait mettre son doigt dans le nez des autres », de Maxime Gillio. Superbe déclaration d’amour d’un père à sa fille.

Au fil des pages, on ressent à quel point il est important pour ce papa d’entrer en contact avec son enfant. Il se livre sans filtres mais aussi, avec émotion et sincérité. J’ai été bouleversée par le récit de leur histoire du début à la fin, les mots résonnent encore en moi tellement ils sont forts de sens.

1/ Votre livre « Ma fille voulait mettre son doigt dans le nez des autres » est un témoignage important concernant les barrières de communication pouvant se dresser sur notre chemin de parents d’enfants « différents ». Comment en êtes-vous venu à l’écriture de ce récit de vie ?

Ce projet n’en était pas un au départ, du moins, pas éditorialement. L’une des caractéristiques de l’autisme étant la difficulté à entrer en communication avec l’autre, ma fille Gabrielle passait beaucoup de temps sur les réseaux sociaux, plus virtuels, donc plus rassurants. 

J’ai donc créé une page Facebook dédiée, sur laquelle je m’adressais à elle, évoquais des souvenirs, des sentiments, des appréhensions, bref, j’établissais un échange virtuel. Mais il n’y avait à l’époque aucune préméditation éditoriale.

2/ L’idée de départ étant de créer une autre forme d’échange avec votre fille, selon vous, pourquoi cette initiative de votre part, a pris une telle ampleur ?

Très égoïstement, je pensais n’intéresser personne avec cette page Facebook, puisque je parlais à ma fille, de notre vécu. À part de la famille éloignée et quelques amis la connaissant, je pensais que ce serait un sujet autocentré. Mais il est vrai que cette page a pris de plus en plus d’ampleur au fil des publications, jusqu’à ce qu’on me fasse remarquer que là où je pensais que Maxime Gillio parlait autisme avec sa fille Gabrielle, c’étaient en réalité les interrogations d’un père lambda quant au devenir de son enfant.

Ce livre n’est donc pas un livre sur l’autisme. C’est juste une déclaration d’amour d’un père à sa fille qui, ma foi, se trouve être un peu différente. Mais n’importe quel parent, quel que soit le profil de son enfant, se retrouvera dans mes souvenirs.

3/ Il est assez rare de lire de telles déclarations d’amour d’un père à sa fille dite « différente ». La vôtre est pleine de tendresse et de sincérité, pas de filtres. Comment avez-vous vécu l’écriture de cet ouvrage qui, au départ n’était absolument pas prévu ?

Honnêtement, si on m’avait dit au départ que ce projet aboutirait à une publication, sans doute aurais-je été bloqué, ou en tout cas freiné dans l’expression de ma sincérité, n’ayant pas l’habitude de mettre ainsi mon cœur à nu en public. 

C’est d’ailleurs tout le paradoxe de cette aventure : l’homme pudique que je suis a exprimé ses sentiments sans filtres, au vu et au su du plus grand nombre, en s’imaginant que peu de personnes les verraient !

4/ On ressent parfois votre désarroi face à la méconnaissance de l’autisme et les dysfonctionnements que cela engendre. Avez-vous le sentiment que les choses ont évolué ?

Qu’il y ait une prise de conscience, oui. J’ai pu constater l’évolution depuis une dizaine d’années (il était temps). Le souci selon moi est que cette prise de conscience est populaire (les gens sont de plus en plus au courant de ce handicap), médiatique, voire artistique (il n’est qu’à voir les émissions ou programmes avec des autistes), mais – comme d’habitude –, elle n’est pas politique ni médicale. Ce qui est un comble.

Donc les familles sont bien parties pour galérer encore des années, avant que la nécessité d’une refonte complète de l’approche de l’autisme soit entendue par nos dirigeants. Il va sans dire que je crois mille fois plus en des actions individuelles et populaires, qu’en une vraie prise de responsabilités de l’État.

5/ Vous revendiquez le fait que votre livre n’évoque pas l’autisme mais, qu’il est le récit de vie de votre parcours « père-fille ». En quoi d’autres familles peuvent-elles se reconnaître ?

Je vais préciser mon propos : bien sûr, l’autisme est présent dans ces pages, à travers quelques anecdotes « spécifiques ». Mais je pense qu’en réalité, mes préoccupations sont avant tout celles d’un père soucieux du bien-être et de l’avenir de son enfant, quel que soit son profil. Il se trouve que mon enfant est différent, certes, mais eût-il été en surpoids, adopté, malentendant, ou que sais-je encore, mes interrogations resteraient les mêmes. 

Quel père ne se soucie pas de savoir si sa fille arrivera à être heureuse dans sa vie amoureuse, bien dans ses baskets et autonome ? Quel parent ne se remémore pas avec nostalgie et émotion des anecdotes de la petite enfance ? En réalité, je suis un père normal, soucieux de l’avenir de ses trois enfants. 

Mais il se trouve, il est vrai, que la différence de l’une d’entre eux rend certainement ces interrogations plus aigües. Mais vous savez, j’ai eu des témoignages de lectrices – et j’insiste, de lecteurs aussi – qui m’ont avoué avoir pleuré en lisant mon livre, alors que leurs enfants ne souffrent d’aucun handicap ou marqueur social. Preuve s’il en est que mon livre est lisible par tout le monde.

6/ Le handicap est encore un sujet très épineux pourtant, de plus en plus de familles font le récit douloureux de leur quotidien. Selon vous, pourquoi nous trouvons-nous dans une telle situation ?

Mais parce que bien souvent, les familles se sentent abandonnées, tout simplement ! Abandonnées par l’État dont le seul souci, en matière de Santé, est de faire des économies, là où au contraire il faudrait redéployer des moyens, financiers et humains, considérables. Et ce, quelle que soit la nature du handicap. 

Vous savez, Gabrielle est chanceuse : elle est élevée dans un foyer aimant, qui a très vite passé le choc de l’annonce de son handicap pour prendre les choses en mains. Nous sommes une famille que l’on pourrait qualifier d’intellectuelle, sans soucis financiers, urbaine et assez au fait des possibilités – même restreintes – qui existent. 

Je sais remplir un dossier et un projet de vie pour la MDPH en sachant sur quels leviers appuyer, je travaille à la maison, ma femme est enseignante et a pu accompagner Gabrielle dans sa scolarité, nos familles et amis sont bienveillants et présents, bref, nous ne sommes vraiment pas les plus à plaindre. 

Eh bien malgré cela, nous attendons depuis plusieurs mois une simple autorisation de ladite MDPH pour que Gabrielle, actuellement déscolarisée, puisse effectuer un stage en ESAT de quinze jours. Pas une notification d’orientation définitive, non, juste un papier pour qu’elle effectue un stage d’observation. Alors imaginez un enfant autiste, élevé seul par sa mère, qui galère à subvenir à leurs besoins, en milieu rural ou éloigné des structures médico-sociales.

Bref, je ne veux pas vous la jouer Victor Hugo ou Veillée des chaumières, mais oui, les familles se sentent abandonnées. Et je ne jette évidemment pas la pierre aux professionnels sur le terrain qui, les pauvres, se débattent avec de plus en plus de dossiers et toujours aussi peu de moyens pour les traiter.

Le jour où les familles seront invitées à la table des négociations, on en rediscutera. Et je vais même aller plus loin : TOUTES les familles. Car je suis consterné de constater – pour ne parler que de l’autisme – que dans ce combat qui devrait être commun, on établisse encore des hiérarchies entre les types d’autismes, et que la parole soit toujours accaparée, voire kidnappée, par les mêmes personnes. Eh oui, l’autisme aussi est un business…

7/ On veut nous vendre de l’inclusion sous toutes ses formes sans réelles avancées. Comment se passe la scolarité de Gabrielle ?

Elle se déroule avec des hauts et des bas. Une inclusion parfaite tout au long de son école primaire, puis trois premières années de collège extrêmement difficiles, en dépit d’un dispositif d’accompagnement. Un nouveau collège où elle a obtenu son brevet avec mention bien, un début de lycée avec une super équipe, mais malheureusement, nous avons dû arrêter en janvier sa 1ère générale. 

La marche était vraiment trop haute au niveau des acquis et des exigences, et on risquait de verser dans la phobie scolaire. Nous sommes donc en train de plancher sur sa réorientation pour la prochaine rentrée.

Mais en matière d’inclusion, mon verdict est sans appel : je crois davantage aux bonnes volontés individuelles qu’aux dispositifs. L’idéal étant bien sûr les deux couplés.

8/ Quel conseil pourriez-vous donner aux familles qui se sentent seules, démunies, face aux difficultés qu’elles rencontrent ?

Parler ! Parler à tout prix, échanger, discuter, se confier. Ce n’est pas toujours chose facile, mais libérer la parole, outre que ça fait du bien à l’âme et au cœur, permet aussi de se rendre compte qu’on n’est pas tout seuls, et qu’échanger les expériences peut être profitable. 

Par exemple, c’est en discutant avec une maman des difficultés que Gabrielle rencontrait dans son premier collège qu’elle nous a parlé de l’établissement dans lequel se trouvait son fils, lui-même autiste. Nous y avons transféré Gabrielle, et pendant deux ans, elle a pu suivre une scolarité normale et décrocher son brevet. Nous avons tous des outils de notre côté, il faut absolument pouvoir les mettre dans une boîte commune.

9/ Comment se porte Gabrielle ? La communication est-elle plus simple ?

Après la libération de ne plus aller au lycée ont succédé l’ennui et le désœuvrement. Il lui tarde d’être fixée sur son avenir proche (merci la MDPH…), et rester seule à la maison avec papa n’est pas forcément la chose la plus motivante du monde. Donc ce n’est pas la foire aux effusions en ce moment, mais on ne perd pas espoir, nous n’avons pas le droit, et nous trouverons ensemble une solution qui lui corresponde pour la rentrée.

10/ Y aura-t-il une suite de « Ma fille voulait mettre son doigt dans le nez des autres » ?

A priori non. J’ai commencé la page quand Gabrielle avait treize ans, et le livre est sorti quand elle en a eu seize. Elle en a maintenant dix-huit, et c’est une jeune femme, avec ses soucis de jeune femme et son intimité, que je ne veux dévoiler en parlant à sa place. C’est à elle de raconter le livre de sa vie, maintenant.


 Propos recueillis par Manuela SEGUINOT.















lundi 27 mai 2019

Le handicap à l’école, il y a urgence à sensibiliser !!




Le handicap est un sujet sociétal de grande envergure. La sensibilisation est indispensable dès le plus jeune âge. Libérer la parole sur un sujet aussi sensible permettrait aux enfants de moins appréhender, de pouvoir poser les questions indispensables à leur sérénité et surtout lever les tabous.

Le handicap au sein des écoles devrait prendre une place essentielle mais, cela ne peut être possible, que s’ils y sont sensibilisés. Des aménagements à la présence des Auxiliaires de Vie Scolaire, les questionnements peuvent être nombreux.

Comment peut-on prôner l’inclusion alors qu’aucune sensibilisation n’est faite au sein des écoles ? Comment les enfants peuvent-ils vivre aux côtés d’enfants porteurs de handicap et être bienveillants alors qu’à aucun moment, ce sujet est abordé.

Force est de constater que la différence peut provoquer des injustices, des préjugés, engendrés par le simple fait que le handicap est TABOU !! Pourquoi est-ce si effrayant ? Pourquoi en parle-t-on si peu aux enfants ?

Il leur sera parfaitement impossible d’accepter la différence si on continue d’isoler des sujets aussi importants. Nombreuses sont les familles qui espèrent que leur enfant extra-ordinaire puisse être intégré au sein d’une école dîtes « ordinaire ». La différence devrait être utilisé à bon escient et permettre d’élargir l’ouverture d’esprit de chacun d’entre eux.

Les enfants ne peuvent être sensibilisés par le simple fait d’avoir un enfant avec handicap dans leur école. Quelle représentation du handicap se font-ils ? Ils ignorent pour la grande majorité à qui ils peuvent s’adresser pour en discuter.

Le rôle des Auxiliaires de Vie Scolaire est confus, il est souvent assimilé au rôle des ATSEM. C’est parfaitement anormal. Évoquer le handicap ne veut pas dire mettre en évidence la différence mais, faire en sorte que personne ne soit mis de côté.

La différence peut être motif d’exclusion, de moqueries qui peuvent blesser, anéantir des enfants. On ne peut pas continuer de favoriser de tels agissements. Nous devons sensibiliser à la différence le plus tôt possible afin qu’il n’y ait plus de discriminations dues à la méconnaissance. L’indifférence doit cesser, trop de familles souffrent et espèrent que les choses évoluent positivement.

Nous avons déjà beaucoup de retard dans ce domaine, il ne faut plus perdre de temps et agir maintenant !! On ne peut se cacher derrière une majorité d’enfants qui se portent bien, ce n’est pas la réalité. Nous sommes tous différents !! Nous ne devons pas exclure la différence de notre société. Peu importe le motif, chacun doit trouver sa place et accéder à l’éducation.

Vivre ensemble et permettre à nos enfants d’accepter la différence est indispensable. Nombreuses sont les actions menées pour sensibiliser au handicap. Des livres, aux dessins animés, les supports ne manquent pas. Bien évidemment, il faut adapter les supports à l’âge des enfants mais, il n’y a pas d’âge pour en parler !!

Le handicap isole de trop nombreuses familles et je trouve cela vraiment injuste. Il ne faut plus que ces familles se sentent seule. Au contraire, elles doivent être soutenues, aidées, accompagnées…

Il y a de très belles initiatives comme la plateforme eNorme, des livres très sympa : « Gabin, sans limites », « Ma fille voulait mettre son doigt dans le nez des autres », « Comment comprendre mon copain autiste », « Métro, boulot, gogo »… et des spectacles surprenant : « Le bal des pompiers », « Mak comme tout le monde à un poil près… »

Je suis convaincue que c’est en parlant chaque jour un peu plus du handicap aux enfants que nous évoluerons vers une société vraiment inclusive. Beaucoup de belles paroles ressortent du mot « inclusion » mais, à mon sens, ils manquent de sens.

Je constate que c’est principalement grâce à la mobilisation et la sensibilisation de personnes, familles, parents pleinement concernés par le handicap que la sensibilisation prend forme et interpelle à échelle humaine.

Riche de ces expériences de vie, beaucoup se retrouvent à travers le récit de vie de ces humoristes ou auteurs, illustrateurs... On se sent tout de suite moins seul, une bouffée d’oxygène indispensable au bien-être de chacun d’entre nous !! Alors continuons, ensemble, on est plus fort!!

Manuela SEGUINOT

samedi 18 mai 2019

« Max et Sacha », la première Bande Dessiné avec un enfant autiste





Il y a des initiatives qui me touchent plus que d’autres. Celle-ci est « hors-norme » car, pour la première fois l’autisme est le sujet principal d’une bande dessinée à destination des enfants. De plus, le héros est un enfant avec autisme, dans la l’histoire comme dans la vraie vie.

Dans la vraie vie ? Oui car, Peter Patfawl Déalet, auteur et illustrateur de cette BD est aussi le beau-papa de Sacha qui est un enfant avec autisme.

Je trouve ce projet, novateur et surtout salvateur pour notre société qui méconnaît l’autisme et toutes les injustices qui en découlent.

De l’exclusion aux jugements, les injustices sont encore trop nombreuses. Le chemin vers l’inclusion s’annonce rude et douloureux pour de nombreuses familles mais, il faut croire en l’avenir et en l’acceptation de la différence !!

Peter Patfawl Déalet a besoin d’aide pour que son projet puisse voir le jour. Raison pour laquelle il a mis en place une cagnotte participative afin de l’aider à financer la publication de la BD.

Toutes Les participations sont importantes, il n’y a pas de petits dons ou de gros dons, l’important, c’est de participer !!


« En échange de ces dons, le contributeur aura accès à un blog restreint qui expliquera jour après jour l'avancée des deux tomes ! En détail, avec les planches et des dessins personnalisés pour lui ! Ce sera un lecteur VIP ! Et je le remercierai vraiment beaucoup ! Evidemment, le contributeur peut donner ce qu'il veut et c'est sécurisé ! 
Alors prêt pour l'aventure ??»


Une page Facebook « Max et Sacha » a également été créé : https://www.facebook.com/Max-et-Sacha-la-s%C3%A9rie-BD-343970752926353/?modal=admin_todo_tour



« ‘’Max et Sacha" sont des personnages tirés du petit manuel illustré "comment jouer avec son copain autiste" éditée par La Boite à Pandore édition. 

Ce petit manuel a un succès auprès de la jeunesse et des familles concernées. Max est un petit frère Haut Potentiel et Sacha est un grand frère autiste. Ensemble ils font des bêtises et vivent de chouettes aventures entourées de leur chat Meufine et de leur maman.

Composé en strips de 4 cases (Format BD kid) et de 100 pages (petit format) et publié par la même maison d'édition que le manuel. 

Nous faisons appel aux lecteurs aujourd'hui pour nous aider à lancer la série. 

Le groupe Jourdan n'a jamais fait de Bandes dessinées. C'est le premier tome d'une nouvelle série. (On l'espère !) Et ils ne peuvent pas avancer de droits d'auteur pour aider le dessinateur (et scénariste !). 

Ces 12 000 euros alors vont permettre à l'auteur de pouvoir faire deux tomes en un an ! »


Vous trouverez plus de renseignements sur les différents liens indiqué et surtout, n’hésitez pas à demander plus de renseignements !!

C’est grâce à de si beaux projets, que la différence sera de plus en plus acceptée !!




Manuela SEGUINOT


mardi 14 mai 2019

Redoublement, pas si évident pour les enfants…





Alors que la fin de l’année scolaire pointe le bout de son nez à grand pas, c’est aussi la période de remise des livrets scolaire avec un élément de taille : la décision ou non du passage en classe supérieure.

C’est une situation récurrente, puisqu’elle a lieu tout au long de la scolarisation des enfants mais, elle n’est pas sans importance. D’abord, parce que cela représente un enjeu majeur pour les parents mais, aussi parce qu’il ne faut pas négliger la représentation que peuvent s’en faire les premiers concernés.

Cela peut être très mal vécu, comme un cataclysme mettant à mal « l’estime de soi » de l’enfant. Beaucoup de choses peuvent être remises en cause du fait d’un redoublement. Ce n’est pas toujours un choix judicieux.

Il me semble indispensable de nuancer l’importance d’un tel choix. Il n’est bien évidemment pas question de remettre en cause la décision prise par un enseignant. Il me semble juste préférable de ne pas passer à côté des conséquences que cela pourrait avoir.

Parfois, l’équipe éducative pense qu’il est opportun pour l’enfant de redoubler afin qu’il puisse solidifier ses acquis. Pourquoi pas. Hélas, ce n’est pas toujours le cas et les enfants peuvent se décourager, décrocher, se braquer du fait de ce choix.

J’ai le sentiment qu’on ne mesure pas toujours à quel point cela peut être difficile et déstabiliser un enfant qui perdra davantage confiance en lui. C’est à mon sens, des éléments primordiaux à ne pas négliger.

Le ressenti de la famille ou de l’enfant devrait avoir toute sa place lorsque le choix du redoublement se fait. Je ne parle évidemment pas des situations où l’enfant n’a vraiment pas le niveau et à des difficultés trop conséquentes.

Ma réflexion se fait pour les enfants ayant un niveau moyen mais pouvant s’accrocher aux apprentissages, sans pour autant que cela le mette en situation d’échec pour la suite de sa scolarité.

J’ai à cœur d’engendrer une réflexion dans ce domaine car ce n’est pas la première fois que des familles se retrouvent dans des situations difficiles et douloureuses, tant pour les parents que pour les enfants du fait d’un redoublement qui n’a hélas, pas été bénéfique.

Les enfants sont de vrais éponges et le regard de l’autre prend une importance incroyable dès lors qu’il s’agit de se sentir « différent », « moins bien », « exclu »…. Les répercussions peuvent être dramatiques.

J’ai le sentiment que l’on en parle peu car dans la majorité des cas, on ne s’arrête pas sur une situation douloureuse ayant eu lieu du fait d’un redoublement. Pourquoi ?

N’est-il pas légitime de donner de l’importance à ce que pourrait être les répercussions d’un tel choix. Que fait-on du bien-être de l’enfant ? Et de sa famille ? 

Quelle importance/légitimité devrait-on donner à une famille qui évoquerait le fait que ce ne soit pas un choix envisageable pour son enfant ?

Nombreuses sont les questions que je me pose à ce sujet et je suis convaincue que ma réflexion mérite d’être partagée.

Manuela SEGUINOT

vendredi 3 mai 2019

Voyage à travers le handicap avec Jean Marc Bardeau Garneret





Qui est Jean-Marc Bardeau ?


Né le 7 février 1950 à Dijon.


Infirme cérébral à la suite d'un accident à la naissance. Du fait de son handicap, il séjourne dans différentes institutions d'éducation spécialisées, pour y subir une éducation motrice et y être scolarisé.


Il en sort à dix-huit ans, sans qualification professionnelle.


 Refusant I ‘intégration en centre d'aide par le travail, il peut, grâce à l'accueil de ses parents, se former intellectuellement, seul d'abord. Puis dans le cadre d'instituts de formation permanente.


En 1984, il est diplômé de l'école des hautes études en sciences sociales.


Entre 1969 et 1978, il milite dans un groupe dadultes handicapés en marge des grandes associations.


Il est instructeur des C.E.M.E.A. depuis 1978. II poursuivit des études en sciences de l'éducation.


L'émancipation affective, sociale et culturelle des enfants, des adolescents et des adultes handicapés est l'objet de ses recherches.



Docteur en Sciences de l’Education.

Chercheur sur l’éducation des enfants atteints de déficiences motrices et sur la condition des personnes handicapées et de leurs parents. Chercheur bénévole, sans établissement de rattachement.

« Chercheur de l’intérieur » c’est-à-dire que je suis une personne atteinte de déficiences motrices, de naissance, cherchant à étudier et à rendre compte de cette condition psychologique et sociale particulière.

Thématiques de recherche

L’éducation des enfants et des adolescents atteints de déficiences motrices : soit des enfants atteints de myopathie, de spina-bifida, d’infirmité motrice cérébrale. 

Comprendre les différentes atteintes et leurs répercussions sur les dynamiques intellectuelles, psychiques et sociales du développement de l’enfant, de l’adolescent.

Approche du vécu des parents d’enfants handicapés : leurs représentations et leurs positions vis-à-vis de l’enfant, de leurs proches, des professionnels de l’éducation spécialisée. [Sujet de la thèse conduite entre 1988 et 1993, à l’Université Paris X- Nanterre, en Sciences de l’Education].

Approche de la condition des adultes en situation de dépendance motrice. 

Essai de mise à jour des positions possibles en considérant l’indispensable relation d’aide de la position de soumission à la personne aidée vers la gouvernance de soi et des aidants.

Publications représentatives

  • Voyage à travers l’infirmité, du non être valide à la construction du soi handicapé, étude autobiographique, Ed du Scarabée -CEMEA, 1986. (N’est plus diffusé, disponible chez l’auteur).

  • Infirmités et Inadaptation sociale : un regard politique sur l’infirmité, Ed Payot. Traduit en Portugais, 1977.

Contributions à des ouvrages collectifs ou revues spécialisées

  • « Du validisme : De l’adaptation sociale à l’aide à domicile », in CICONE A. et al. [eds.], Handicap et violence, Toulouse, Eres, p. 71-82.
  •  
  • « Des difficultés de la construction intellectuelle chez les enfants atteints de déficiences motrices », in ANCET P. et MAZEN N-J.[dir.], Ethique et handicap, Bordeaux, Les Études Hospitalières, 2011, Coll. "Les chemins de l'éthique", p. 105-126.
  •  
  • « S’édifier autrement », in GARDOU C. [ed.], Naître ou devenir handicapé, Le handicap en visages-1, Toulouse, Editions Erès, p. 97-112.
  •  
  • « De l’émergence du complexe parental au cœur des relations avec les professionnels de l’éducation », Lieux d’aide à la parole, Sémaphore, n° 18-19, Besançon, A.P.F, Service de Soins et d’Education Spécialisés à Domicile, 1992, p. 141-149.

Entretien :

Vous êtes l’auteur de 2 ouvrages, de plusieurs préfaces de livres et effectuez des recherches traitant d’un sujet sensible mais tellement important : le handicap. Pourquoi ?


Réponse : Comme beaucoup de personnes handicapées, l’écriture a été un outil pour transcrire un vécu singulier dont j’avais souffert. Des placements en institutions davantage que de ma condition physique. Dès que j’ai su lire et écrire, j’ai rédigé différents récits de vie qui ont constitué la matière première d’une réflexion d’abord politique.

Ensuite, à partir de ce vécu, j’ai beaucoup lu, je me suis documenté pour me donner accès à des connaissances tant sur le handicap que sur les normes sociales.

C’est ainsi que j’ai travaillé à un premier livre « infirmités et inadaptation sociale » au cours des années soixante-dix.

J’ai écrit ce premier ouvrage imprégné de la culture contestataire des années soixante-dix : la remise en cause des institutions éducatives, médicales, l’antipsychiatrie. 

Ce premier ouvrage était sans doute trop conceptuel. L’impératif de rédiger un récit s’est imposé à la suite d’un travail en psychothérapie.

Près de 15 ans après la loi de 2005 sur le handicap, nombreuses sont les personnes qui dénoncent une évolution trop lente de l’inclusion des enfants porteurs de handicap, quel est votre avis ?


Rép : Chaque année, l’Education Nationale publie des statistiques témoignant de l’augmentation du nombre des élèves intégrés en milieu ordinaire. 

Par contre, les résultats de cette « inclusion » en termes d’apprentissage de base, de réussite, sont assez rares. 

Aussi, avant de réclamer un nombre croissant d’enfants handicapés inclus en milieu ordinaire, on devrait plutôt s’interroger sur les acquisitions des élèves intégrés et leur progression. 

Au terme de ces 15 ans, quel est par exemple, la situation actuelle des premières cohortes d’enfants et d’adolescents intégrés ?

3] Il existe de nombreuses structures pouvant accueillir les enfants en situation de handicap, pour autant, beaucoup se posent des questions sur les établissements spécialisés tels que les ULIS ou les IME. 
Ces instituts effraient souvent les familles, qu’en pensez-vous ? Comment choisir l’établissement le plus adapté ?


Rép : Là encore, nous manquons de données sur les résultats des IME. 

Nous connaissons approximativement leurs objectifs : conduire les élèves vers une certaine autonomie. Mais quelle autonomie ? physique ? psychique ? cognitive ? 

Nous ne savons pas bien. Quel est le devenir de ces élèves, une fois adultes par seulement en termes d’autonomie domestique (s’habiller, assurer leur hygiène, se nourrir] mais encore se gouverner eux-mêmes : gérer le quotidien, habiter seul en appartement, gérer leur santé ; participer à des activités sociales et culturelles

Sur ces critères, il serait intéressant de comparer les compétences des élèves à la sortie des IME, à la sortie des CLISS et des classes ordinaires.

4/ On entend très souvent parler des AVS/AESH exerçant dans les classes dîtes « ordinaires » auprès d’enfants en situation de handicap mais très peu des éducateurs spécialisés, des Aides Médico-psychologiques ou des moniteurs-éducateurs qui pourtant peuvent rencontrer des difficultés importantes au sein des établissements où ils exercent. Pourquoi selon-vous ?


Rép :  Je n’ai pas d’avis arrêté sur cette question.  D’abord, c’est au sein d’une sphère sociale particulière, celle du handicap, qu’une possible différence peut être relevée entre le discours sur les AVS et le discours sur les éducateurs. 

Mais au sein des médiats habituels, la «société du handicap » ne fait guère la une.

Toutefois au sein du milieu spécialisé, l’intérêt pour les AVS/AEHS peut s’expliquer par la relative nouveauté de l’inclusion scolaire et l’intérêt que cette dynamique représente pour les parents d’enfants handicapés et leurs associations. 

Il apparaît que ce sont ces associations qui se sont appropriés la dynamique inclusive. 

Par conséquent, ce qui se passe dans les institutions spécialisées où interviennent les éducateurs, est sorti des préoccupations des parents et par conséquent des médias.

5/ Se pose une question qui revient très souvent, doit-on fermer les établissements tels que les IME, qu’en pensez-vous ?

Rép : La fermeture plus ou moins lointaine des IME ne me surprendrait pas. Les CLISS en milieu ordinaire sont censées assurer davantage la mission scolaire de ces établissements, ce qui ne veut pas dire qu’elles y réussissent mieux. 

Mais ce remplacement correspondrait sûrement à la demande des parents. Au-delà de son apport réel aux enfants handicapés, le milieu ordinaire représente pour ces derniers, un certain effacement, voire une annulation du handicap.

Si l’apport des professionnels des IME est reconnu comme une nécessité pour les élèves, en cas de fermeture, ces derniers pourraient très bien exercer leurs activités habituelles en milieu scolaire. 

C’est ainsi qu’ont procédé les Italiens au cours des années soixante-dix.

6/ Cette année, une action non négligeable a été mis en place pour la première fois : « Un grand débat national » où tous pouvaient s’exprimer. Quel regard portez-vous sur ce genre d’initiative ? Avez-vous le sentiment que ça puisse avoir un impact réel sur l’avenir ?


A ma connaissance, la condition des personnes handicapées ne fait pas l’objet du « Grand Débat » et à mon regret, aucune association de personnes ou de parents d’enfants handicapés, n’a rejoint les « Gilets jaunes », alors qu’elles auraient eu des raisons de s’y associer. 

Mais ces associations ne sont pas revendicatives, mais gestionnaires. C’est pourquoi elles se tiennent à distance de toute organisation et mouvement revendicatif.

En outre, ce « Grand Débat » est une opération gouvernementale qui n’apportera aucun changement de fond à la politique de classe qui  est menée depuis des  décennies par les gouvernements successifs. 

Les personnes handicapées économiquement parmi les classes défavorisées, le resteront.

7/ Le diagnostic est une étape indispensable, souvent vécut comme une épreuve insurmontable pour les familles car elle peut s’avérer très compliquée. Selon-vous n’y aurait-il pas un moyen plus simple, aussi bien pour les familles que pour les professionnels, d’arriver à un diagnostic ?


Les déficiences physiques, cognitives relèvent de la médecine de réadaptation. Je ne sais si des procédures de révélation sont actuellement retenues et enseignées en médecine en générale ou de réadaptation en particulier. Ou si au contraire, chaque praticien s’en tient à sa seule pratique.

Jusque dans les années 90, lorsque j’ai rédigé ma thèse, une révélation progressive était proposée par les spécialistes.

Cette progression permet de tenir compte d’une part de l’évolution ou de la régression de   la déficience chez l’enfant ou chez l’adulte au cours des mois ou des années. 

D’autre part, de ce que la personne atteinte et les membres de son entourage, sont en mesure d’entendre et de comprendre.

J’ai critiqué cette procédure dans ma thèse parce qu’elle ne visait pas une pleine connaissance de la situation par les parents et l’enfant. 

Aujourd’hui, au contraire, je pense que cette procédure peut permettre, dans le meilleur des cas, une appropriation progressive du handicap en tant que condition physique, cognitive et en tant que condition sociale.

8/ Le handicap fait peur en général, certains essayent de bousculer les codes et de faire de la différence une force mais c’est souvent plus facile à dire qu’à faire !! Les choses ont-elles évoluées ? Pourquoi ?

Rép : Plutôt que du handicap, qui est un terme trop « généraliste » et vidé de sens à force d’être utilisé dans n’importe quel sens, je préfère recourir au terme de déficience. 

Là ou les déficiences qui peuvent de nature physique, intellectuelle ou psychique. Les déficiences psychiques renvoyant aux maladies mentales.

Si toutes les déficiences inspirent de la peur, certaines en inspirent davantage que d’autres. 

Les malades mentaux en inspirent davantage que des personnes qui sont perçues atteintes que dans leur corps et auxquelles les personnes « valides » par s’identifier, c’est-à-dire trouver des points d’identifications. 

La personne autonome sur son fauteuil électrique inspirera moins de peur qu’une personne titubante. 

L’autonomie, la communication ordinaire permettent ainsi à des personnes atteintes de déficientes de s’intégrer plus facilement que d’autres dans le paysage, parce que les personnes « valides » peuvent s’identifier spontanément à elles.

Nous pouvons faire l’hypothèse d’une évolution positive dans cette « identification spontanée » à une certaine « catégorie » de personnes atteintes de déficiences physiques ou motrices. 

Mais cette évolution est relative voire nulle vis-à-vis de personnes atteintes de déficiences plus importantes, avec lesquelles un temps plus long est nécessaire pour se reconnaître des points communs avec elles c’est-à-dire s’identifier à elles.




Propos reccueillis par Manuela SEGUINOT