samedi 9 février 2019

Un papa pas comme les autres....





De l’écriture du livre « Gabin sans limites » au spectacle « Le bal des pompiers », Laurent Savard nous livre avec humour le quotidien d’un parent d’enfant autiste. De l’échange avec la directrice d’école à la séance de psy, les situations les plus improbables y sont jouées avec brio.

Vous êtes le papa de Gabin, jeune ado autiste qui adore les rollers. Pouvez-vous nous décrire Gabin et votre relation père/fils ?

Gabin est une bombe d’énergie, depuis toujours. Un enfant adorable, peut-être un peu moins souriant avec l’adolescence, quoique – bon, c’est un ado – mais tout de même un très gentil garçon. C’est mon unique enfant donc je manque forcément d’objectivité à son égard, je l’aime bien évidemment très fort comme tout parent qui se respecte.

L’autisme est un terme effrayant aujourd’hui encore car il y a beaucoup de stigmatisations faites autour de ce handicap. Pouvez-vous nous parler de votre ressenti face au décalage des propos tenus et de la réalité du quotidien de ces enfants extra-ordinaires ?

Il y a surtout une méconnaissance de ce qu’est vraiment l’autisme et de la diversité du fameux spectre. On nous vend souvent de l’autisme sans troubles, de l’autisme sans handicap mais la réalité est tout autre dans 99% des cas, qu’on soit autiste sévère ou autiste Asperger. Sur le terrain, la vie d’une personne autiste est en effet tout sauf une vie de paillettes. C’est souvent la double peine. Un handicap à surmonter, à prendre en charge pour les familles – à vie quand l’autonomie est compliquée voire impossible – et le regard de la société. Surtout, on pense qu’une personne autiste est forcément en retrait, sans volonté de contact avec les autres … gros cliché, il faut au contraire donner un maximum de moyens pour permettre cette communication.

Comment en êtes-vous venu à l’écriture de ce très beau livre ? Puis à la conception de ce one-man-show extraordinaire ?

Je n’ai fait qu’utiliser mon petit métier d’humoriste et d’auteur. Peu de temps avant la naissance de Gabin, le Splendid avait ainsi produit ma première pièce, « Y a t-il un facho dans le frigo ? », j’avais aussi débuté une carrière dans le one-man-show classique depuis quelques années. Donc, quand Gabin  avait cinq-six ans, je me suis dit qu’il avait déjà trop subi le rejet et que, peut-être, on pouvait faire rire de ceux qui rient de lui. J’ai parlé de l’idée à plusieurs camarades comme mon pote Stéphane Guillon. Je semblais légitime. Mais je ne pouvais savoir que neuf ans après sa création, certes dans une version très différente – on fêtera les 10 ans en avril 2020 – je jouerais toujours le spectacle. Le livre est, lui, beaucoup plus récent. Depuis 2010, beaucoup d’éditeurs m’avaient contacté, j’ai pu prendre le temps de choisir le bon … et j’ai ainsi pu aborder le thème de l’adolescence. Surtout, après avoir fini d’écrire « Gabin sans limites » qui décrit les 14 premières années de Gabin, le livre m’a donné le vertige … que de choses vécues !

Lors d’une interview, vous évoquez avoir déscolarisé Gabin, pouvez-vous nous raconter pourquoi avez-vous pris cette décision ? Quelles alternatives à la scolarisation avez-vous pu trouver ?

Une prise en charge à la maison. Sa scolarisation devenait du saupoudrage d’école (rire jaune).

Beaucoup de parents sont confrontés aux affres des administrations telles que la MDPH afin d’obtenir l’accord pour une Auxiliaire de Vie Scolaire. Quelle a été votre propre expérience dans ce domaine ? Avez-vous le sentiment que les choses ont évoluées ?

Généralement, l’AVS – pardon AESH désormais - n’est jamais nommé(e) de suite. Surtout si c’est le dernier trimestre avant les vacances d’été.  Et quand l’AESH est qualifié(e), il ou elle ne reste jamais longtemps. Dans le bouquin je décris justement toutes les phases par lesquelles on est passé. Usant. J’espère que les choses ont évolué … mais, hélas, les évolutions semblent lentes.

Nombreux sont les parents qui font part de leur solitude face au quotidien et à l’accompagnement de leur enfant autiste. Partagez-vous ce sentiment ?

Oui, c’est un peu toujours « aide-toi, le ciel t’aidera ! » et plus l’autisme est sévère, plus les situations peuvent devenir dramatiques. Et ne parlons même pas de l’étape « adulte » car les enfants grandissent, si mes infos sont bonnes.

En tant que parent, qu’auriez-vous aimé trouver comme aide/accompagnement pour ce qui concerne la scolarité de Gabin ?

Une société qui ne détourne pas la fameuse devise « liberté, égalité, fraternité ». Ce n’est pas parce qu’on prône l’égalité qu’il faut faire la même chose pour tout le monde. Pour ceux qui peuvent moins ou pour qui c’est plus compliqué, il faut faire davantage. C’est cela la prise en compte du handicap dans un système vraiment égalitaire. La France ne l’a pas encore bien saisi, au contraire des pays nordiques, par exemple. C’est tout de même dingue de devoir expliquer ce que signifie la réalité du handicap, j’ai en fait de plus en plus de mal à comprendre mon propre pays, peut-être suis-je un étranger qui s’ignore. Gabin, lui, est considéré comme un intrus, pas de doute.

Votre situation illustre parfaitement les défaillances de l’Education Nationale et de notre société qui sont très en retard dans le domaine de l’inclusion des enfants porteurs de handicap. Pourtant, il y a eu des lois comme celles de 2005, avez-vous la sensation que nous allons réellement vers une école inclusive ?


Pas gagné. Pour nous vendre l’école inclusive, dans l’autisme par exemple, on prend toujours les meilleurs élèves, jamais des autistes sévères. Et la sévérité de l’autisme n’est pas un mythe pour un bon tiers des enfants autistes devenus ados, et ce malgré une bonne prise en charge. Ce constat est vrai pour tous les handicaps. L’inclusion est effective dès lors qu’on peut fondre dans le moule républicain l’enfant en question. Si trop d’adaptations à faire, de l’espace, de la pédagogie, etc… hum, comment dire, l’école c’est pas toujours cool. Heureusement, de plus en plus d’enseignants s’indignent de l’attitude de certains collègues qui disent comme ma chère Marie-George – la directrice d’école maternelle de Gabin – qu’ils n’ont « pas commencé ce métier pour s’occuper d’enfants handicapés ». J’en connais même qui achètent mon bouquin pour le laisser traîner en salle des profs et ainsi susciter le débat. Ma petite fierté est aussi qu’en juin 2017, il a été sujet d’exam’ dans des Master pour devenir professeur d’école. Donc, bon gré mal gré, les choses évoluent.

Vous continuez votre voyage à travers les régions, comment vous sentez-vous et que ressentez-vous après une représentation ?

Je me sens bien, très bien, même si mon genou droit n’est pas au top. Le fait de ne plus avoir 30 ans depuis quelques années et, peut-être, de suivre tous les jours Gabin en patinette – je n’ai vraiment pas son niveau à rollers -,font que j’ai une petite « grosse » chrondopathie rotulienne articulaire … grade 3 !  Mais j’ai une patinette électrique depuis Noël … sauvé ! Plus sérieusement, après chaque représentation, je n’en reviens toujours pas qu’autant de parents, de personnes se retrouvent dans notre histoire… des Gabin, il y en a partout en France et au-delà ! Ces personnes ne sont d’ailleurs pas toujours directement concernées par le handicap. En fait, la moindre différence, que ce soit la couleur de peau, l’orientation sexuelle, etc… pose problème en France. ET comme on peut parfois cumuler, là, il faut savoir se blinder ! Surtout, ce spectacle, je n’oublie jamais que je le joue par et pour Gabin.


Quels conseils pourriez-vous donner à tous les parents qui liront notre entretien pour qu’ils puissent trouver, comme vous, une manière d’évacuer les souffrances subies très souvent du fait d’une méconnaissance et des préjugés sur l’autisme ?


L’humour c’est plutôt pas mal au quotidien même si on ne rit jamais sur l’instant, c’est toujours après, avec le recul, qu’on peut rire de tout ce que nous vivons, de ce que peut subir notre enfant. Surtout, être fier de son enfant, qu’il ne parle pas ou qu’il parle 15 langues, on s’en fout, faisons le maximum pour lui, sans limites ! C’est un combat à vie alors autant garder le sourire, non ?


Comment va Gabin aujourd’hui ? Quel est son quotidien ?

Il va toujours bien … sauf quand il ne peut pas sortir à rollers. On essaie qu’il soit le plus autonome possible et, surtout, le mieux possible dans ses bas… pardon, dans ses rollers. Une prise en charge qui allie à la fois sport, « cognitif » et recherche de l’autonomie, donc. Et je n’ai plus qu’un petit centimètre de marge avant qu’il ne me dépasse !

Avez-vous des projets en cours ? Livres, spectacles…. ?

Ouh la, oui. Trop (fou rire) ! On me demande déjà la suite de « Gabin sans limites » mais laissons Gabin grandir. Pas impossible qu’on voit aussi un jour son histoire belle et tourmentée sur les écrans, j’aurai ainsi bouclé la boucle, « spectacle, livre, film ». En parallèle je compte aussi m’atteler à d’autres projets artistiques, sans rapport avec le handicap ou l’autisme. D’autres causes m’animent comme l’antiracisme. La situation politique actuelle m’inquiète quelque peu. Je pense également ne pas avoir encore montré ce que je pouvais produire en tant qu’auteur … en espérant qu’aucun humoriste ne me repique mes textes ! Mais, bien entendu, je me battrai toujours pour Gabin et même dans trente ans, si on me demande de jouer « le bal des pompiers », comptez sur moi !

Propos reccueillis par Manuela SEGUINOT

Le bal des Pompiers : https://vimeo.com/147127195

Laurent SAVARD : http://laurentsavard.com/




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