samedi 23 mars 2019

Des gaulois réfractaires en psychanalyse aux personnes qui ont peur de la différence, la France écume 40 ans de retard...


Entretien avec Peter Patfawl


Vous êtes illustrateur de livres traitant sur des sujets sociétaux importants tels que le handicap et l’autisme, comment en êtes-vous venu à parler de ces sujets encore sensibles ?

En effet, c’est des sujets lourds. Mais je suis dessinateur de presse et de BD à tendance « Charlie Hebdo » et c’est avant tout mon humour. Tous les sujets graves me font réagir et j’ai envie d’en rire.

Rire du GPS, ça fait rire 2 minutes mais ça ne me touche pas plus que cela. Rire de la maladie, se faire du bien là où cela fait mal, c’est mon truc. Je suis très Desprogien et comme le tabou m’emmerde, j’en parle ! 

Ensuite, il y a mon vécu d’handicapé des rotules (Voir ma BD « carnet de santé ») qui m’a ouvert les portes du handicap. Il y a quelques années, on n’en parlait pas et encore moins en BD. Tout le monde fuyait. Alors je suis arrivé dans un désert. Maintenant les BD arrivent mais voilà, les sujets de ce genre, il faut être dedans pour en rire.

Je suis tombé sur une interview d’Olivia Cattan sur Canal plus et j’ai compris que l’autisme était encore mal vu. J’ai milité avec elle et je suis tombé sur ma nouvelle compagne, dans le combat.

Elle avait deux enfants dont un autiste épileptique. J’en suis maintenant le beau-père. L’autisme est donc un sujet de mon quotidien et le handicap c’est toute ma vie. Mais je ne traite pas que le handicap.

Je vais sortir dans quelques semaines, un manuel satirique sur le populisme. Encore un sujet difficile ! Mais j’aime ça. C’est très intéressant sur le plan artistique et ça fait avancer le monde. 



L’autisme fait peur alors que les plus concernés savent que c’est surtout le fait de ne pas connaître ce handicap. Quel message avez-vous voulu faire passer à travers vos deux ouvrages sur l’autisme ? Pourquoi avoir choisi cette thématique ?

Je me suis baladé un jour avec mon beau fils dans le bus et j’ai plusieurs remarques insultantes, ce jour-là. Je me suis dit, il faut faire une notice pour que les gens comprennent comment fonctionne mon beau fils. J’ai dit cette boutade à une amie éditrice, elle m’a dit : je t’édite ce manuel... Il faut le faire !

Alors j’ai bouclé ce premier manuel avec ma femme, en 4 mois chrono. Avec une boule au ventre ! C’était chaud mais enrichissant ! Et quand on a vu l’engouement des parents et des lecteurs tout court, on a compris qu’il y avait une demande énorme.

Le but était de combiner dessin et textes pour toucher même ceux qui n’aiment pas lire. Pédagogique et universel tout en tirant sur les faux clichés et les stéréotypes et autres rumeurs. Histoire de nettoyer tout ça à coup de feutre ! L’humour est salvateur lorsqu’il est fait comme ça.

Et nous avons eu une demande des parents et professeurs pour en faire une version enfant. Voilà pourquoi le petit manuel est né quelques mois après. En un an, on a édité 2 manuels illustrés ! c’est assez rare et énorme quand on y pense ! Et encore actuellement, il s’en vend tous les jours. Preuve qu’on en a besoin tout le temps !

Certains libraires disent que nous avons inventé un style car d’habitude dans les manuels, ce sont des illustrations qui sont très « neutres » hors les miens sont des dessins d’humour de type « presse » qui se moque des travers et des comportements humains.
Alors du coup avec les textes pédagogiques simples et ce mélange de dessins d’humour, ça fait un style qui touche tout le monde. (Enfin qui essaye, en tous cas !) 

Les associations ont déjà fait beaucoup de travail sur le terrain mais le grand public ne connait pas tout ça. Ou peu. Alors mon travail est un travail de passeur d’informations. Je remets les choses à plat, j’explique en vulgarisant la science et je donne le minimum à savoir au lecteur qui souvent ne veut pas se taper des gros pavés.

L’humour peut aussi servir à ça. Dénoncer et informer !  Voilà à quoi servent ces deux manuels. Aux adultes et adolescents et aux enfants et tous les gens qui fréquentent dans leur travail ou dans leur famille.

Dédramatiser et expliquer le côté pratique. Je vais souvent dans les écoles pour sensibiliser avec le petit manuel, les enfants se posent beaucoup de questions saines et veulent comprendre. Alors ce petit manuel est hyper intéressant pour l’inclusion scolaire et dans les centres de loisirs. Il faut que ce monde avance... Par la connaissance ! 


La différence et plus particulièrement le handicap sont très difficile à accepter dans notre société, selon-vous pourquoi ? Que pourrait-on faire pour que ce ne soit plus le cas ?

La peur et la méconnaissance. Il faut faire lire ces deux manuels aux 60 millions de Français... (Et je suis sérieux !) Pour le handicap, c’est juste un manque de bienveillance et de normes. Il faut rentrer dans des cases sinon cela fait peur. Beaucoup pensent cela et ça c’est bien triste ! On est tous différents ! 



Des lois importantes comme celle de 2005 ont vu le jour pourtant, nous sommes encore très loin de l’inclusion tant promise. Qu’en pensez-vous ?

La France écume 40 ans de retard en matière d’handicap. Le gouvernement actuel fait ce qu’il peut (mais contrairement sous l’ère d’Hollande, ce gouvernement veut bouger !) mais nous avons des gaulois réfractaires en psychanalyse et de personnes qui ont peur de la différence dans l’éducation Nationale donc nous avançons doucement... (Trop à mon gout) mais c’est la France !


Vous avez choisi l’humour et le dessin pour évoquer des sujets très délicats, pourquoi ? Qu’est-ce que cela vous apporte ? 

Tout d’abord, c’est mon métier. Je dirais même plus (comme dirait Dupont avec grand T) c’est mon langage.
Je suis né avec, je mourrais avec. J’aime parler aux gens avec mon feutre. Je trouve que ça apporte une légèreté, on peut aller loin ou synthétiser, rire, expliquer, montrer des partis de nous. Le dessin c’est tirer des traits et avoir des traits tirés. C’est magique de parler à tout le monde ! Ça enrichis ma vie.

 Surtout qu’avec ce début de succès après 8 ans de galère et de petites ventes, je me retrouve partout en librairie et je touche davantage de lecteurs, ça fait du bien ! Être lu c’est le plus beau métier du monde.

Dur, on n’a pas le droit au chômage et je n’en vis pas encore entièrement mais ça fait un bien fou. Et faire rire les gens, ça aussi ça fait du bien. Mais ce qui me plait encore plus c’est de réussir à convaincre le lecteur, de changer de point de vue.

Plusieurs fois, on m’a raconté que le manuel illustré sur l’autisme a fait changer d’avis des grands parents ou des pères qui niaient l’autisme de leur enfant et suite à cette lecture changent totalement d’attitude.

C’est dans ces moments-là, que je me dis que j’ai gagné quelque chose. Ça sera comme avec mon manuel sur le populisme qui sort bientôt. Comme c’est un manuel politisé, je ne pense pas que j’arriverai à faire changer les racistes totalement mais au moins si cela peut être une piste pour faire réfléchir, je m’en contenterai ! On ne peut pas sauver tout le monde hélas ! (Rire) 


Vous êtes le beau-père d’un enfant autiste, les affres des administrations est un point à améliorer en urgence, quelle a été votre expérience personnelle. Beaucoup de familles se sentent seules et démunies face au combat d’accompagnement qu’elles doivent mener, quels conseils pourriez-vous leur donner ?

Oui, sujet épineux en effet. L’administration est bien trop lourde. Il faut l’alléger, l’enfant ne peut pas faire un pas sans devoir demander une notification MDPH ! Et tous les ans, on demande aux parents de refaire un dossier pour être certain que votre fils est encore autiste. C’est absurde !

Il faut alléger cela, faire un statut d’aidant familiale aussi. S’il n’y a pas d’autres moyens que les parents s’occupent un moment de leur vie de leur enfant chez eux, qu’ils aient au moins un statut d’aidant familiale avec des avantages et pas d’embrouilles à avoir ! C’est scandaleux !

Pour les parents, je leur conseille de rejoindre une association locale et de tenter de lire un maximum d’informations sur les droits de leur enfant et d’eux même. En effet, beaucoup se sentent seules et ce n’est pas normal.

Alors il faut lutter encore et encore ! Oui il y a beaucoup de papiers à faire. Et parfois les MDPH sont blindés de monde et de travail, c’est comme Pôle emplois et les autres... Handicap et administration, ça ne fait pas bon ménage ! Alors je vous dis mes chers parents : courage !!! 


Quels publics sensibilisez-vous à travers vos livres ? 


Je veux sensibiliser tout le monde. Je dessine pour les 60 millions de français

Avez-vous des projets en cours ou à venir ?

J’ai toujours plein de projets de livres. En octobre, ça sera probablement sur l’antisémitisme et l’homophobie, toujours chez La boite à Pandore édition. Un recueil avec 10 ans de travail autour de la santé et l'humour.

Cela sera un recueil de strips et dessins d'humour parfois noir sur la santé et le handicap et qui s'appellera "Humour de malade". Une sorte de cadeau de convalescence pour les malades et les médecins et qui paraitra dans l'année chez Veda Edition.

Les lecteurs du petit manuel réclament une série BD avec mes personnages de Max et Sacha, qui paraissent dans ce manuel. Alors je suis en train de négocier pour avoir un vrai contrat d’édition BD afin de me consacrer à cette future série BD. Je voudrais en vivre pleinement. Ça commence mais il faut continuer à avancer.

Ça fait dix ans que je galère, mais je patiente ! Je continue mes commandes avec mon agence Talentéo, dans les entreprises pour sensibiliser les salariés au handicap.

Je continue à sortir une planche par jour sur mon blog BD "Bim dans l'aidant" et des articles de fond sur le blog "Les baobabs ». Et je continue à m’occuper de mes beaux enfants et de ma compagne tout en créant de nouveaux projets. 





Propos reccueillis par Manuela SEGUINOT

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