jeudi 30 mai 2019

Eh oui, l’autisme aussi est un business… : Entretien avec Maxime Gillio



J’ai lu avec beaucoup de plaisir « Ma fille voulait mettre son doigt dans le nez des autres », de Maxime Gillio. Superbe déclaration d’amour d’un père à sa fille.

Au fil des pages, on ressent à quel point il est important pour ce papa d’entrer en contact avec son enfant. Il se livre sans filtres mais aussi, avec émotion et sincérité. J’ai été bouleversée par le récit de leur histoire du début à la fin, les mots résonnent encore en moi tellement ils sont forts de sens.

1/ Votre livre « Ma fille voulait mettre son doigt dans le nez des autres » est un témoignage important concernant les barrières de communication pouvant se dresser sur notre chemin de parents d’enfants « différents ». Comment en êtes-vous venu à l’écriture de ce récit de vie ?

Ce projet n’en était pas un au départ, du moins, pas éditorialement. L’une des caractéristiques de l’autisme étant la difficulté à entrer en communication avec l’autre, ma fille Gabrielle passait beaucoup de temps sur les réseaux sociaux, plus virtuels, donc plus rassurants. 

J’ai donc créé une page Facebook dédiée, sur laquelle je m’adressais à elle, évoquais des souvenirs, des sentiments, des appréhensions, bref, j’établissais un échange virtuel. Mais il n’y avait à l’époque aucune préméditation éditoriale.

2/ L’idée de départ étant de créer une autre forme d’échange avec votre fille, selon vous, pourquoi cette initiative de votre part, a pris une telle ampleur ?

Très égoïstement, je pensais n’intéresser personne avec cette page Facebook, puisque je parlais à ma fille, de notre vécu. À part de la famille éloignée et quelques amis la connaissant, je pensais que ce serait un sujet autocentré. Mais il est vrai que cette page a pris de plus en plus d’ampleur au fil des publications, jusqu’à ce qu’on me fasse remarquer que là où je pensais que Maxime Gillio parlait autisme avec sa fille Gabrielle, c’étaient en réalité les interrogations d’un père lambda quant au devenir de son enfant.

Ce livre n’est donc pas un livre sur l’autisme. C’est juste une déclaration d’amour d’un père à sa fille qui, ma foi, se trouve être un peu différente. Mais n’importe quel parent, quel que soit le profil de son enfant, se retrouvera dans mes souvenirs.

3/ Il est assez rare de lire de telles déclarations d’amour d’un père à sa fille dite « différente ». La vôtre est pleine de tendresse et de sincérité, pas de filtres. Comment avez-vous vécu l’écriture de cet ouvrage qui, au départ n’était absolument pas prévu ?

Honnêtement, si on m’avait dit au départ que ce projet aboutirait à une publication, sans doute aurais-je été bloqué, ou en tout cas freiné dans l’expression de ma sincérité, n’ayant pas l’habitude de mettre ainsi mon cœur à nu en public. 

C’est d’ailleurs tout le paradoxe de cette aventure : l’homme pudique que je suis a exprimé ses sentiments sans filtres, au vu et au su du plus grand nombre, en s’imaginant que peu de personnes les verraient !

4/ On ressent parfois votre désarroi face à la méconnaissance de l’autisme et les dysfonctionnements que cela engendre. Avez-vous le sentiment que les choses ont évolué ?

Qu’il y ait une prise de conscience, oui. J’ai pu constater l’évolution depuis une dizaine d’années (il était temps). Le souci selon moi est que cette prise de conscience est populaire (les gens sont de plus en plus au courant de ce handicap), médiatique, voire artistique (il n’est qu’à voir les émissions ou programmes avec des autistes), mais – comme d’habitude –, elle n’est pas politique ni médicale. Ce qui est un comble.

Donc les familles sont bien parties pour galérer encore des années, avant que la nécessité d’une refonte complète de l’approche de l’autisme soit entendue par nos dirigeants. Il va sans dire que je crois mille fois plus en des actions individuelles et populaires, qu’en une vraie prise de responsabilités de l’État.

5/ Vous revendiquez le fait que votre livre n’évoque pas l’autisme mais, qu’il est le récit de vie de votre parcours « père-fille ». En quoi d’autres familles peuvent-elles se reconnaître ?

Je vais préciser mon propos : bien sûr, l’autisme est présent dans ces pages, à travers quelques anecdotes « spécifiques ». Mais je pense qu’en réalité, mes préoccupations sont avant tout celles d’un père soucieux du bien-être et de l’avenir de son enfant, quel que soit son profil. Il se trouve que mon enfant est différent, certes, mais eût-il été en surpoids, adopté, malentendant, ou que sais-je encore, mes interrogations resteraient les mêmes. 

Quel père ne se soucie pas de savoir si sa fille arrivera à être heureuse dans sa vie amoureuse, bien dans ses baskets et autonome ? Quel parent ne se remémore pas avec nostalgie et émotion des anecdotes de la petite enfance ? En réalité, je suis un père normal, soucieux de l’avenir de ses trois enfants. 

Mais il se trouve, il est vrai, que la différence de l’une d’entre eux rend certainement ces interrogations plus aigües. Mais vous savez, j’ai eu des témoignages de lectrices – et j’insiste, de lecteurs aussi – qui m’ont avoué avoir pleuré en lisant mon livre, alors que leurs enfants ne souffrent d’aucun handicap ou marqueur social. Preuve s’il en est que mon livre est lisible par tout le monde.

6/ Le handicap est encore un sujet très épineux pourtant, de plus en plus de familles font le récit douloureux de leur quotidien. Selon vous, pourquoi nous trouvons-nous dans une telle situation ?

Mais parce que bien souvent, les familles se sentent abandonnées, tout simplement ! Abandonnées par l’État dont le seul souci, en matière de Santé, est de faire des économies, là où au contraire il faudrait redéployer des moyens, financiers et humains, considérables. Et ce, quelle que soit la nature du handicap. 

Vous savez, Gabrielle est chanceuse : elle est élevée dans un foyer aimant, qui a très vite passé le choc de l’annonce de son handicap pour prendre les choses en mains. Nous sommes une famille que l’on pourrait qualifier d’intellectuelle, sans soucis financiers, urbaine et assez au fait des possibilités – même restreintes – qui existent. 

Je sais remplir un dossier et un projet de vie pour la MDPH en sachant sur quels leviers appuyer, je travaille à la maison, ma femme est enseignante et a pu accompagner Gabrielle dans sa scolarité, nos familles et amis sont bienveillants et présents, bref, nous ne sommes vraiment pas les plus à plaindre. 

Eh bien malgré cela, nous attendons depuis plusieurs mois une simple autorisation de ladite MDPH pour que Gabrielle, actuellement déscolarisée, puisse effectuer un stage en ESAT de quinze jours. Pas une notification d’orientation définitive, non, juste un papier pour qu’elle effectue un stage d’observation. Alors imaginez un enfant autiste, élevé seul par sa mère, qui galère à subvenir à leurs besoins, en milieu rural ou éloigné des structures médico-sociales.

Bref, je ne veux pas vous la jouer Victor Hugo ou Veillée des chaumières, mais oui, les familles se sentent abandonnées. Et je ne jette évidemment pas la pierre aux professionnels sur le terrain qui, les pauvres, se débattent avec de plus en plus de dossiers et toujours aussi peu de moyens pour les traiter.

Le jour où les familles seront invitées à la table des négociations, on en rediscutera. Et je vais même aller plus loin : TOUTES les familles. Car je suis consterné de constater – pour ne parler que de l’autisme – que dans ce combat qui devrait être commun, on établisse encore des hiérarchies entre les types d’autismes, et que la parole soit toujours accaparée, voire kidnappée, par les mêmes personnes. Eh oui, l’autisme aussi est un business…

7/ On veut nous vendre de l’inclusion sous toutes ses formes sans réelles avancées. Comment se passe la scolarité de Gabrielle ?

Elle se déroule avec des hauts et des bas. Une inclusion parfaite tout au long de son école primaire, puis trois premières années de collège extrêmement difficiles, en dépit d’un dispositif d’accompagnement. Un nouveau collège où elle a obtenu son brevet avec mention bien, un début de lycée avec une super équipe, mais malheureusement, nous avons dû arrêter en janvier sa 1ère générale. 

La marche était vraiment trop haute au niveau des acquis et des exigences, et on risquait de verser dans la phobie scolaire. Nous sommes donc en train de plancher sur sa réorientation pour la prochaine rentrée.

Mais en matière d’inclusion, mon verdict est sans appel : je crois davantage aux bonnes volontés individuelles qu’aux dispositifs. L’idéal étant bien sûr les deux couplés.

8/ Quel conseil pourriez-vous donner aux familles qui se sentent seules, démunies, face aux difficultés qu’elles rencontrent ?

Parler ! Parler à tout prix, échanger, discuter, se confier. Ce n’est pas toujours chose facile, mais libérer la parole, outre que ça fait du bien à l’âme et au cœur, permet aussi de se rendre compte qu’on n’est pas tout seuls, et qu’échanger les expériences peut être profitable. 

Par exemple, c’est en discutant avec une maman des difficultés que Gabrielle rencontrait dans son premier collège qu’elle nous a parlé de l’établissement dans lequel se trouvait son fils, lui-même autiste. Nous y avons transféré Gabrielle, et pendant deux ans, elle a pu suivre une scolarité normale et décrocher son brevet. Nous avons tous des outils de notre côté, il faut absolument pouvoir les mettre dans une boîte commune.

9/ Comment se porte Gabrielle ? La communication est-elle plus simple ?

Après la libération de ne plus aller au lycée ont succédé l’ennui et le désœuvrement. Il lui tarde d’être fixée sur son avenir proche (merci la MDPH…), et rester seule à la maison avec papa n’est pas forcément la chose la plus motivante du monde. Donc ce n’est pas la foire aux effusions en ce moment, mais on ne perd pas espoir, nous n’avons pas le droit, et nous trouverons ensemble une solution qui lui corresponde pour la rentrée.

10/ Y aura-t-il une suite de « Ma fille voulait mettre son doigt dans le nez des autres » ?

A priori non. J’ai commencé la page quand Gabrielle avait treize ans, et le livre est sorti quand elle en a eu seize. Elle en a maintenant dix-huit, et c’est une jeune femme, avec ses soucis de jeune femme et son intimité, que je ne veux dévoiler en parlant à sa place. C’est à elle de raconter le livre de sa vie, maintenant.


 Propos recueillis par Manuela SEGUINOT.















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