1/ Vous êtes l’auteure de l’ouvrage
« Accueillir un enfant différent en famille », pouvez-vous nous le
présenter ?
Ce livre évoque tous les aspects
de la vie de famille quand on a un enfant porteur de handicap : de
l’annonce du handicap à sa prise en compte dans la vie quotidienne en passant
par les impacts sur la vie de couple, la fratrie, les relations avec la famille
d’origine (les grands parents, les oncles, tantes et cousins).
Je l’ai écrit en
m’appuyant sur mon histoire de mère d’une enfant de 12 ans porteuse de handicap
et sur le témoignage d’une vingtaine de familles concernées elles aussi par
cette question.
2/ On peut lire qu’il y a différentes étapes
cruciales dans l’acceptation du handicap de son enfant, pourquoi
selon-vous ?
Comme je le dis dans mon livre,
le handicap d’un enfant est un trauma pour toute la famille. Et comme tous les
traumas il nécessite des adaptations fortes. Ces adaptations nous amènent à
faire le deuil, non pas de notre enfant, mais de la vie telle qu’elle existait
ou qu’on l’imaginait avant l’arrivée fracassante du handicap.
Ce deuil suit les
étapes, bien connues en psychologie du refus, de l’adaptation puis de
l’acceptation pour enfin arriver à ce qu’on appelle l’intégration, qui marque
la possibilité du retour à l’apaisement. L’acceptation en est la clé et, hélas,
tout le monde ne parvient pas à y accéder. C’est un travail à conduire par les
familles et qui prend souvent de années.
3/ Dès lors qu’il y a fratrie, on pourrait
penser que les autres vont être mis de côté du fait du handicap de leur frère
ou sœur. Est-ce un préjugé ou une réalité « naturelle » /
« maladroite » ?
Naturellement, les frères et
sœurs sont confrontés à la réalité du handicap. Dans cette réalité il y a la
place énorme que vient prendre le handicap : beaucoup de temps passé à
voir des professionnels, remplir des papiers, souffrir aussi.
Cela conduit
inévitablement à moins de place pour eux et aussi souvent plus de
responsabilités. Ils aident les parents souvent. C’est inévitable. Cela ne veut
pas dire que c’est seulement une expérience difficile.
Si les parents sont
vigilants et arrivent à accorder de l’attention aux autres enfants et/ou à
faire en sorte qu’ils aient un espace pour eux …un espace où ils peuvent vivre
aussi l’insouciance de leur enfance … ou les problèmes de leur
adolescence J
alors cela peut au contraire devenir une richesse.
Côtoyer le handicap c’est
aussi vivre l’ouverture à la différence, se découvrir plus fort et plus humain,
plus capable de se centrer sur l’essentiel. Ce sont des leçons de vie
essentielles dont je parle dans mon livre. Je suis allée à la rencontre de
frères et sœurs qui ont su faire de cette épreuve une richesse pour qu’ils en
témoignent.
4/ Certains couples ne résistent pas du fait de
l’ampleur du handicap de leur enfant : stress, pression, fatigue, combat
permanent, isolement… Quels conseils auriez-vous pour tenter de ne pas arriver
à cette extrémité de souffrance ?
80% des couples se séparent quand
ils ont un enfant différent … La première clé est d’accepter que l’autre est
différent et va traverser ce trauma à sa manière. C’est un cheminement
solitaire. Il faut avoir la patience d’attendre et l’envie de se retrouver un
jour.
Pour cela il faut beaucoup de bienveillance et de communication dans le
couple. Parfois de l’aide est nécessaire … Mon conseil, comme pour tous les
couples, est de prendre du temps aussi pour le couple : le temps
d’échanger, de se retrouver pas seulement en tant que parents mais en tant qu’amoureux.
5/ Pas facile de trouver sa place pour la
fratrie, on se sent délaissé, exclus… Mettre des mots sur des maux, pas facile
pour des enfants. Que faudrait-il faire pour prévenir d’éventuelles
difficultés ?
Il faut libérer la parole des
enfants : qu’ils puissent dire leur ras-le-bol du handicap et même de leur
frère ou sœur au même titre que s’il était « normal ».
L’humour peut
permettre de le faire. Par exemple avec ma fille aînée quand nous sommes
fatiguées de la place que prend le handicap dans nos vies, des crises que fait
ma fille nous imaginons le meilleur moyen de se débarrasser d’elle.
On en rit
ensemble et cela nous permet de relâcher la pression. Dire soi-même en tant que
parent sa fatigue est une manière d’autoriser l’enfant à faire de même et ne
pas le laisser s’enfoncer dans la culpabilité.
6/ Quelle seraient les mises en garde que vous
pourriez conseiller aux familles pour ne pas sombrer ?
S’entourer des bonnes personnes
est capital : autant pour la prise en charge de notre enfant que pour nous
soutenir dans les moments difficiles ou simplement nous apporter de la joie et
de l’insouciance. Pas besoin pour cela de beaucoup de monde : une poignée
de personnes aimantes est suffisante.
Les associations de parents font aussi un
formidable travail d’écoute et de soutien. Même les réseaux sociaux avec les
groupes fermés sur les thèmes du handicap font un beau travail pour cela.
Enfin il faut communiquer en
famille, avec les amis et même au-delà pour faire connaitre le handicap et
surtout développer l’inclusion. Car le regard des autres ou leur indifférence
sont une double peine pour les familles qui ont déjà du mal à surmonter la
situation.
Œuvrer pour un monde inclusif c’est aider les familles à mieux vivre
le handicap et tout le monde à mieux accepter la différence et ses richesses.
7/ Il est souvent très difficile aux familles
de demander de l’aide ou de dire que l’on est en souffrance. Pourquoi ?
Les familles sont souvent
débordées aussi bien émotionnellement que sur le plan pratique. Il y a beaucoup
de démarches à faire et de rendez-vous chez les spécialistes pour accompagner
l’enfant donc peu de temps pour se poser. Souvent cette suractivité permet
aussi de ne pas trop s’appesantir sur sa souffrance et permet de
« tenir ».
Demander de l’aide demande beaucoup de courage :
celui de partager notre détresse. On a peur d’être mal accueilli, d’embêter les
autres, de leur faire peur, de ne plus être identifié.e que comme la maman/le
papa qui a un enfant handicapé.
Le sentiment aussi que personne ne peut nous
comprendre nous empêche de parler. Souvent les familles se tournent vers
d’autres familles qui vivent la même chose : la communication est plus
simple et le soutien souvent plus efficace.
8/ Quel message souhaitez-vous faire passer à
travers votre livre ? A qui s’adresse-t-il ?
Personne ne souhaite avoir un
enfant différent et cela reste une expérience éprouvante qui nous change pour
toujours. Le handicap vient compromettre beaucoup de nos rêves et projets.
Pourtant la vie peut reprendre son cours et avec elle la possibilité du
bonheur. Il va falloir aller chercher des ressources au plus profond de
nous-mêmes pour y parvenir mais c’est possible.
La patience, le courage est
surtout l’amour peuvent nous permettre de transformer cette épreuve en une occasion
de grandir en humanité et de vivre une vie plus riche.
Propos recueillis par Manuela SEGUINOT
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