1/ Pourquoi avoir écrit ce livre « L’amour qui pique les yeux
» ?
J’avais besoin d’honorer Camille. Car personne ne le fera à
ma place. J’avais besoin de partager cette histoire, NOTRE histoire, avec le
monde entier. Bien sûr, ce livre parle de handicap, mais avant tout, ce livre
parle d’amour, et du lien, si fort, si puissant qui me lie à mon frère. Et qui
lie souvent les familles frappées par le handicap.
J’ai écrit ce livre pour faire marcher Camille. Pour qu’il
erre dans la vie des autres … Lui, qui n’ira jamais nulle part.
Et puis, je crois que je voulais laisser une trace. SA trace.
Ce livre rend notre histoire réelle, concrète, et j’en avais besoin.
2/ A qui s’adresse t’il ?
Il s’adresse à Camille. A ma mère. A la petite fille que
j’étais. Il s’adresse à tous les enfants de cette Terre et à tous les parents
qui se posent des questions. Ce livre s’adresse aussi aux enfants « qui vont
bien ». J’ai été et je suis cet enfant, celui qui transpire la santé, et qu’on
croit capable de grandir tout seul. Ce n’est pas vrai, aucun enfant ne peut
grandi comme ça.
J’avais envie de leur dire qu’on n’est pas seuls, que des tas
d’enfants en bonne santé vivent la même chose que nous.
Je suis très fière, parce que j’ai eu beaucoup de retours de
frères et de soeurs comme moi. Je suis fière de me dire qu’on peut créer une «
communauté » et faire de nos « traumas » quelque chose qui réunit.
3/ À travers votre livre, quel message souhaitez-vous faire
passer ?
Que l’amour gagne. Et qu’avec beaucoup d’amour, beaucoup de
persévérance, on peut quand même être heureux au milieu du feu.
Au-delà d’un message, j’aimerais que mon livre ait un
objectif, grand certes, mais je n’ai pas peur : j’aimerais que ce livre
rassemble, qu’il réconcilie. J’aimerais que ce livre permette d’ouvrir des
portes, créer des ponts, et qu’il favorise les pardons.
Pardonner à soi, pardonner à sa famille et surtout, pardonner
à la vie, c’est une lutte. J’aimerais que ce livre facilite les choses à ce
niveau.
4/ Qu’elle est votre vision du handicap ? Du polyhandicap ?
J’en parle forcément beaucoup dans mon livre, pour moi, le
handicap c’est une interminable trahison. C’est quelque chose de très injuste
et qui ne répond à aucune règle.
Mais à la fois, le handicap, le poly-handicap ouvrent
d’autres mondes. Grâce à Camille, j’ai accès à un Monde, à un état émotionnel
que je n’aurais jamais connu sans lui. La lumière qu'il m’a transmise et qu’on
partage, c'est la chose la plus précieuse que j’ai.
5/ Quelles difficultés avez-vous rencontrées face au handicap
de votre frère ?
J’ai toujours été fière d’avoir le frère que j’ai, et je n’ai
que très rarement voulu un autre frère que Camille, je n’ai pas eu de
difficultés à gérer le handicap de mon frère. Les seules difficultés que je
connais sont liées à la douleur que Camille doit subir quelquefois, et au
manque de considération qu’on lui porte.
Quand Camille est heureux, quand il ne souffre pas, quand il
me sourit, et quand on cherche à le comprendre, je n’ai aucune difficulté
ressentie, je nous trouve même chanceux d’avoir la vie que nous avons. Dès
qu’il montre un signe de faiblesse, ou dès qu’on ne s’attache pas à le traiter
avec respect et bienveillance, en un instant, je tombe dans les abîmes.
Ma plus grande difficulté, c’est que Camille est ma force,
mais c’est aussi ma plus grande faiblesse. Et ce, pour toujours.
6/ Quel est votre avis sur la prise en charge et la
reconnaissance du handicap ?
Nous faisons des progrès, mais le chemin est encore bien long
…
Nous avons du mal avec l’inclusion dans notre pays, et malgré
certains efforts, le handicap est encore un « gros » mot. Ce n’est pas toujours
dit clairement, ni assumé, mais c’est encore un mot qui fait trop mal, en mon
sens.
La reconnaissance du handicap, pour moi, passe forcément par
la reconnaissance des personnes qui prennent soin de l’Autre.
Lorsque je constate l’investissement de certains éducateurs
dans le centre dans lequel est placé Camille, et que je suis forcée de voir le
peu de reconnaissance, le peu de gratifications qu’on leur porte, il ne faut
pas s’étonner que notre pays soit dans l’état dans lequel il est.
C’est par ça que passe pour moi la santé d’un pays. Et de ce
point de vue, la France, mon cher pays, va TRES mal.
7/ Comment va votre frère aujourd’hui ? Comment allez-vous ?
Camille va bien, il est surprenant et s’est très bien adapté
au confinement, aux changements de quotidien qui ont eu lieu ces derniers mois.
Camille manque d’un projet éducatif, nous nous battons pour qu’il en ait un, et
qu’on puisse l’accompagner dans ce projet, c’est l’étape 2021 !
Moi, je vais bien !
Le confinement est difficile pour moi, je déteste les
contraintes et j’ai vraiment l’impression que notre quotidien est jonché de
contraintes, de difficultés.
Mais, je sais que le soleil finit toujours par se lever,
Camille me l’a appris, donc j’y crois très fort. J’ai hâte que la vie reprenne
ses droits. J’ai hâte qu’on récupère un peu notre humanité qui nous manque,
cruellement actuellement.
8/ Quel(s) conseil(s) pourriez-vous donner aux personnes qui
se sentent découragées face au handicap d’un de leur proche ?
Le mot « conseil » ne me plait pas trop.
Je parlerais simplement de mon expérience. Ce qui m’a sauvé,
c’est d’avoir pu en parler, et avoir pu partager mes difficultés et mes
angoisses de petite fille avec ma mère. Il n’y a jamais eu de sujet tabou, et
j’ai toujours su que je pouvais tout lui dire, même mes émotions les plus
noires.
Ma mère m’a appris à accepter aussi. Elle m’a appris à
accepter d’être dépassée. Elle m’a donné le droit de dire que c’était trop
quelquefois et que je ne voulais pas vivre cette vie-là.
On a le droit à l’erreur, et le handicap ne déroge pas à ce
droit.
La seule exigence qu’on doit avoir avec nous-même, elle est
simple : donner le meilleur, faire de son mieux.
9/ Quel est votre « Leitmotiv » au quotidien ?
Mon leitmotiv réside en 3 mots, et j’y pense chaque matin :
célébrer la vie.
10/ Y aura t’il une suite de cette belle aventure ?
J’espère …Et … Je ne sais pas ... Je suis très indécise à ce
sujet car le 2ème livre est pour moi le plus difficile à écrire.
Il validera ou invalidera pas mal de choses au sujet de
l’écriture.
Et puis, mon premier livre est un cri, et crier 2 fois, c’est
peut-être beaucoup !
Je ne sais vraiment pas ! Je me dis que si cela doit arriver,
cela s’imposera à moi, comme cela a été le cas pour mon premier.
Propos recueillis par Manuela SEGUINOT